La mesure de performance du Private equity, un enjeu de taille pour les fonds de pension

Chronique de Baudouin Heron - parue dans Allnews - décembre 2024

La mesure de performance du Private equity, un enjeu de taille pour les fonds de pension

La mesure de performance du Private equity constitue un défi majeur pour les investisseurs institutionnels. La complexité de cette classe d’actifs, caractérisée par son illiquidité et son horizon d’investissement de long terme, nécessite une approche multidimensionnelle au sein des portefeuilles multi-actifs des fonds de pension.

Le Private equity, une classe d’actifs à part entière…

Ces dernières années, le Private equity (PE) s’est imposé comme une réponse stratégique pour les fonds de pension à la recherche de rendements élevés et d’une diversification accrue. L’approche anglo-saxone confirme cette tendance, avec des allocations en PE représentant entre 10% et 30% des portefeuilles institutionnels. En Suisse, l’allocation moyenne1 reste globalement faible mais augmente malgré tout, passant en 5 ans de 1.1% à 1.6% pour le PE et de 0.7% à 1.7% pour l’infrastructure. Par ailleurs, les limites réglementaires définies par l’Ordonnance OPP 2 ont évolué en ce sens et laissent aujourd’hui une marge d’amélioration conséquente (jusqu’à 20% pour le PE et 10% pour les infrastructures). Ce positionnement stratégique s’explique par les spécificités uniques du PE. Par exemple, contrairement aux marchés publics, il ne bénéfice pas d’une valorisation quotidienne, présente des flux de trésorerie irréguliers (appels de capitaux progressifs et distributions irrégulières), et enfin, ne connait la performance réelle de ses investissements que tard dans la vie du fonds. Ces caractéristiques font du PE un levier de diversification et de performance incontournable, mais elles exigent des méthodes de mesures adaptées pour en évaluer l’impact réel.

… qui nécessite une analyse de la performance adaptée...

Dans la pratique, cette différence fondamentale de nature pose un problème pour le suivi global et la compréhension de la véritable contribution du PE à la performance d’une portefeuille multi-actifs. Une approche sur-mesure est nécessaire. L’IRR (Internal Rate of Return) est privilégiée pour cette classe d’actifs, tandis que le TWR (Time-Weighted Return) s’applique aux marchés publics. Cette dernière approche ne prend pas en compte les flux de trésorerie et les décisions des gestionnaires, comme les appels de capitaux et les distributions, contrairement à l’IRR. Cependant, l’IRR suscite certaines critiques en raison de sa sensibilité aux manipulations qui le font croître aux dépends de la valeur effectivement distribuée aux investisseurs. C’est la raison pour laquelle il est recommandé d’examiner l’IRR en parallèle de multiples comme le TVPI (Total Value to Paid-in), qui offre une perspective différente centrée sur la valeur créée. Un exemple courant de manipulation présenté ci-dessous, est l’utilisation de lignes de crédits (LC). A la fin de la vie du fonds, le résultat est frappant comme le démontre le comparatif ci-après.


 

Source: Based on “Subscription Lines of Credit and Alignement of Interest” ILPA

En complément, d’autres méthodes existent comme la méthode de l’équivalent du marché public (PME) ou la comparaison avec un benchmark adapté. En outre, les meilleures pratiques suggèrent de contextualiser la performance en incorporant des facteurs qualitatifs, tels que les objectifs d’investissement, le profil de risque et la composition du portefeuille, afin d’obtenir une évaluation plus holistique.

… avec une approche multidimensionnelle

Enfin, on observe que de nombreuses institutions utilisent principalement le TWR pour mesurer la performance du PE afin de maintenir une méthodologie et une structure de rendement cohérente avec l’ensemble de leur portefeuille multi-actifs. L’argument principal étant que le TWR et l’IRR convergent au fil du temps. Cependant, la convergence a lieu a priori pour des fonds de pension établis, avec un portefeuille stable et mature n’ayant pas de changements significatifs de stratégie, de rythme d’engagement ou de modifications de l’allocation cible. Les premières années peuvent créer des incompréhensions dans les rapports de performance.

Finalement, l’approche multidimensionnelle permet aux gestionnaires de mieux appréhender les subtilités du PE et de maximiser sa contribution stratégique. Comme l’a résumé Howard Marks « You can’t eat IRR ». Comprendre les limites de chaque méthode est crucial pour en tirer le meilleur parti et optimiser l’allocation d’actifs. Face aux défis de mesure de la performance, le PE offre une opportunité unique aux fonds de pension : combiner rendement supérieur, diversification et horizon d’investissement de long terme. En combinant judicieusement différents indicateurs (IRR et TVPI en parallèle du TWR) pour réaliser une évaluation adaptée, cette classe d’actifs peut devenir un pilier essentiel des portefeuilles multi-actifs, apportant une véritable valeur ajoutée aux investisseurs institutionnels.

Baudouin Heron

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Baudouin Heron est titulaire d’un Master en Corporate finance & banking de l’EDHEC Business School, d’un Master en économétrie de l’Université Paris X et d’une Licence en économie de l’environnement et du développement durable de l’Université de Poitiers. Il a travaillé pendant près de 10 ans dans les services Financial Advisory de Forvis Mazars et Deloitte avant de rejoindre la BCGE en 2024 en tant qu’Investment Manager.  

 

1Selon l’étude sur les caisses de pension en Suisse en 2024 de Swisscanto