Surprenante résilience du marché de l’emploi
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Pas si surprenante, malgré les vents contraires
A rebours des théories économiques classiques, la traditionnelle relation entre dégradation de l’emploi et de l’activité ne s’est pas appliquée en 2023. Dans un contexte d’affaiblissement de la croissance, le taux de chômage est resté au plancher. Les banques centrales ont poursuivi leur cycle de resserrement et ancré les politiques monétaires en territoire restrictif. L’investissement en construction et le commerce international ont fléchi. Et pourtant, les économies ont continué à créer des emplois. Partant, la consommation des ménages et l’immobilier, sensibles au taux de chômage, ne se sont pas effondrés.
Des raisons structurelles, et d’autres plus conjoncturelles, expliquent cette étonnante résilience.
D’abord, la pandémie de Covid a fait émerger un nouveau phénomène : la rétention d’effectifs. En 2021 et 2022, confrontées à des difficultés de recrutements en raison d’un nombre encore élevé de personnes malades, d’écoles en partie fermées ou de l’inadéquation des compétences, les entreprises ont été contraintes de réduire leur production alors que la demande était robuste. Depuis, ces entraves ont quasiment disparu mais aujourd’hui les employeurs préfèrent maintenir l’emploi pendant la phase de ralentissement, plutôt que de risquer de ne pas être en mesure de recruter (et produire davantage) au moment du redémarrage.
Ensuite, les économies affrontent la transition démographique. Les conséquences de la baisse continue du taux de natalité depuis 40 ans, combinée au départ en retraite de la génération des babyboomers raréfie la force de travail. En outre, on observe des changements sociétaux profonds. Les salariés privilégient de plus en plus un nouvel équilibre entre vies professionnelle et personnelle et aspirent à réduire leur temps de travail. Cette préférence préexistait mais la pandémie l’a renforcée. Par ailleurs, que ce soit aux Etats-Unis ou en Europe, le taux de participation à la population active, qui avait fortement chuté au moment de la crise Covid, n’a pas retrouvé son niveau de fin 2019. Résultat, la population en âge de travailler décline.
Dans ce contexte, l’emploi est robuste et les salariés ont retrouvé un pouvoir de négociation. Ils sont en mesure de réclamer des salaires plus élevés et, malgré un moral plutôt chahuté, demeurent confiants quant à l’évolution du marché du travail et à leur capacité de consommer. La résistance de la demande des ménages limite la baisse de l’activité. La boucle est vertueuse mais peut retarder le retour de l’inflation proche de sa cible1. Demande et emplois résilients s’opposent au resserrement monétaire et pourraient contraindre les banques centrales à maintenir les taux à leurs niveaux restrictifs plus longtemps.
La force de l’emploi, malgré un léger effritement récent, interroge et explique la résilience de l’activité économique. La transition démographique modifie en profondeur le lien entre activité et chômage. La raréfaction de la main d’œuvre solidifie le marché de l’emploi, alimente la progression des salaires et doit encourager l’investissement des entreprises. Face à ces transformations, l’innovation et l’accroissement de la productivité permettront de maintenir les capacités de production. Le développement de la robotique et de la digitalisation sont nécessaires pour compenser la diminution des heures travaillées. Les entreprises des secteurs industriels innovants, de la technologie et de la santé peuvent tirer profit de ce nouveau paradigme.
Charlie Carré
1 Dans la théorie économique classique, il existe une relation inverse entre taux de chômage et inflation (courbe de Phillips), fondée sur l’analyse du pouvoir de négociation des salariés.