Au Cœur des Marchés : Em« Powell »ment ? Chronique de Valérie Lemaigre - parue dans Le Temps - septembre 2024

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Au Cœur des Marchés : Em« Powell »ment ?

Alors que les marchés financiers s’attachent à d’inquiétants records journaliers, en débutant ces mois d’août et de septembre, nombre d’observateurs soulignent la saisonnalité accablante sur les marchés boursiers de cette fin d’été. A la cloche de ce 3 septembre, le Nasdaq, indice phare américain, enregistrait plus de 3% de baisse et Nvidia s’enfonçait de 9.5% (perte de 270 milliards de dollars de capitalisationboursière). A en croire les performances de la clôture du mois d’août, les esprits se reprennent après ces coups de sang. Ainsi les chiffres de l’emploi ou l’enquête des entrepreneurs manufacturiers américains semblent n’être que des prétextes à la nervosité des investisseurs confrontés à des records haussiers et baissiers de valeurs technologique, particulièrement concentrées autour de quelques noms. La concentration illusionne comme elle inquiète, elle est pourtant typique des premières phases (lancement et développement) du cycle de vie du produit avant que la croissance et la maturité ne le rendent accessible à tous.

Si à Jackson Hole Jérome Powell, gouverneur de la Réserve fédérale, a souhaité rassurer les marchés financiers sur les perspectives à court terme de baisses des taux, le symposium annuel de la Fed s’est, en revanche, penché plus spécifiquement sur les enjeux structurels de plus long terme. En effet, transitions démographique et technologique étaient au cœur du débat orienté sur la transmission de la politique monétaire à l’économie. De la courbe de Phillips et Beveridge aux anticipations d’inflation, les académiques et banquiers centraux se sont accordés pour distinguer le contexte inflationniste actuel. Persistance de nombreux postes vacants malgré le ralentissement économique résultent de la structure démographique (babyboomers quittant le marché du travail) qui influence l’impact d’une politique monétaire restrictive sur la croissance et sur la montée lente du chômage. Si ces contours monétaires sont rassurants pour la croissance, ils intensifient par contre les effets d’un choc d’offre (et allongement du délai de livraison) sur l’inflation, tel qu’enregistré après la crise du Covid-19. Transitions démographique, technologique et énergétique peuvent dorénavant activer rapidement les pressions inflationnistes issues de la pénurie de ressources (main d’œuvre et matières premières). Face à ce risque, anticipations d’inflation bien ancrées, communication transparente sur les intentions monétaires (forward guidance), marché de la dette, tous ces éléments permettent de calibrer la boîte à outils monétaires et atteindre un certain taux d’intérêt d’équilibre ; ce taux doit être à même de favoriser la croissance sans activer la nouvelle sensibilité de l’inflation à l’environnement structurel. A n’en pas douter, les préoccupations des autorités monétaires dépassent largement l’horizon « courtermiste » des spéculateurs de valeurs technologiques ou des effets saisonniers de marchés boursiers. La création de valeur ajoutée des entreprises aussi ! Alors, Jérôme Powell et son em« powell »ment permettront très probablement de déjouer les pronostics saisonniers des mois de septembre boursiers.

Valérie Lemaigre
Economiste en Chef, BCGE
Rédaction le 06/09/2024